samedi 30 mars 2013

Jean-Marc Roberts, la littérature à la ronde. L'éditorial du "Monde des livres"

L'éditeur et écrivain Jean-Marc Roberts, patron des éditions Stock, est décédé le 25 mars, à l'âge de 58 ans.






En 2008, les éditions Stock fêtaient leurs 300 ans. Pour marquer cet anniversaire, Jean-Marc Roberts, le patron de la maison, fit un choix qui était bien dans son style : plutôt qu'une exposition, il voulut un spectacle vivant. Il téléphona à dix de ses auteurs pour leur demander de jouer dans La Ronde, d'Arthur Schnitzler, pièce qui défraya la chronique dans la Vienne fin de siècle, traduite chez Stock en 1912. Des mois durant, la petite troupe se livra à des improvisations : chacun rejoua par exemple la scène du "coup de fil de Jean-Marc", celle où l'éditeur vous invite à entrer dans La Ronde : "J'ai pensé à toi"... Un soir de février, donc, la représentation eut lieu au Théâtre Edouard-VII (Paris). Ce fut une fête. Au moment de saluer Roberts, qui vient de quitter la scène, voilà le souvenir qui s'impose à moi. Lui dire adieu, c'est saluer un homme qui envisageait la littérature comme une ronde joyeuse et précaire. Lui qui vomissait les cocktails ne manquait pas une occasion d'organiser une boum. Gros son et variétés des années 1980 dissuadaient les mondains d'échanger les cancans du jour. Au milieu de la piste, l'éditeur observait le mouvement des corps, distinguant au premier coup d'oeil les francs déhanchements des contorsions serviles. "Vous savez, en dansant, on se rend compte de pas mal de choses !", constate le personnage de la bonne dans la pièce de Schnitzler. Roberts, qui n'a jamais cessé de servir les auteurs, n'en pensait pas moins. Avec ses jeans et ses mocassins, il menait la danse comme il éditait les livres : léger mais pas frivole, convaincu que tout cela était trop important pour être pris au sérieux. Dans son ultime récit, Deux vies valent mieux qu'une (Flammarion, 108 p., 13 €), Roberts raconte que son hypnotiseur lui demande de fermer les yeux et de rejoindre l'endroit de ses rêves. Le patient répond sans hésiter : une piste de danse. Oui, chez Roberts, la littérature était une danse pour tout et pour rien, une confiance accordée dans l'instant. Et peu importaient les éloignements d'un soir. L'essentiel était, et demeure, de recommencer demain.

 Jean Birnbaum(lemonde.fr)

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