mardi 23 avril 2013

Nina Simone, sa vie est un roman

Malgré son immense carrière, jamais la blessure de l'humiliation ne disparaîtra.

Le livre commence par la fin. Gilles Leroy décrit, raconte, écoute, sonde et se met dans la peau de Nina Simone. Le roman s'ouvre sur les dernières années de la légende du jazz. Puis déroule le fil d'une vie qui est loin d'être un long fleuve tranquille. Dans l'approche, Nina Simone, roman résonne avec Alabama Song, Goncourt 2007, et Zola Jackson: trois portraits de femmes pas si puissantes.
Ici, il pointe la fêlure de la jeune Eunice Kathleen Waymon, qui ne réussira jamais à intégrer le célèbre Institut Curtis de musique de Philadelphie pour devenir «la première concertiste classique noire». Ce qu'elle aime, par-dessus tout, c'est Bach, Mozart, Debussy. On la renvoie au jazz et auxprotest songs, parce qu'elle est noire (et qu'elle a une voix sublime).
Elle aura beau connaître une immense carrière, jamais la blessure ni l'humiliation ne disparaîtront. Un passage illustre à merveille le malentendu quand elle confesse: «Imaginez un grand poète crevant la faim dans un squat du Bronx, à qui une agence de Park Avenue propose un pont d'or pour écrire des slogans publicitaires. Il écrit ses slogans le jour, la nuit il se ruine la santé sur ses futurs poèmes. Puis le succès lui vient, mais comme publiciste. On le reconnaît, on le fête, il roule sur un pont d'or. Peu à peu, il abandonne sa poésie, ou bien c'est sa poésie qui le quitte.» Et un peu plus loin: «Je suis pareille à ce poète dévoyé.» Elle avouera que l'amertume est toujours restée en travers de la gorge.

Une diva fragile et excessive

En vérité, celle qui a reçu un «don de Dieu» avec son oreille absolue n'est qu'une femme délaissée: «J'étais si seule.» Elle se croit forte, avec sa haute taille et sa bouche frondeuse, affirme qu'elle lit sur les visages comme à livre ouvert et sait mieux que personne transpercer les masques, or, elle se fait berner comme une préadolescente ingénue. Si sa carrière reste l'une des plus grandes réussites au monde, sa vie sentimentale est un ratage sidéral. Un avocat, pour la défendre, dit qu'elle est atteinte d'«une démence aggravée par la solitude».
C'est tout cela, et d'autres choses encore que l'auteur d'Alabama Song dépeint avec cet art du portrait romancé où il n'hésite pas à endosser les plaies de son modèle. Bien sûr, on ressent le penchant qu'il a pour cette femme fragile qui tente, comme elle peut, de rester debout, mais l'écrivain ne cache rien des excès de la diva, de ses caprices de star, de son côté pathétique. Sans doute plus que d'autres, la vie de Nina Simone est un roman. Un roman avec ses pages lumineuses et ses «traversées de l'enfer», comme elle dit.
«Nina Simone, roman», de Gilles Leroy, Mercure de France, 271 p., 18,50 €.
lefigaro.fr

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