jeudi 4 avril 2013

Salon du Livre 2013 : Cartarescu, Lungu... Ils sont fous ces Roumains !


Par Bernard Quiriny - 

Salon du Livre 2013 : Cartarescu, Lungu... Ils sont fous ces Roumains !
Invitée officielle du Salon du Livre 2013, la Roumanie est une belle inconnue pour la plupart des lecteurs français. Focus sur cinq auteurs à ne pas rater, du doyen Mircea Cartarescu à la trentenaire Adina Rosetti, qui, chacun à sa façon, parle de l’avant et l’après Ceaucescu.

Mircea Cartarescu, le maître
Impossible de parler littérature roumaine sans évoquer Mircea Cartarescu, son plus célèbre représentant (il est le Roumain le plus traduit dans le monde), pilier de la vie culturelle depuis ses premiers poèmes, figure de la « génération 80 » (ces auteurs éclos dans le totalitarisme finissant, et qui utilisèrent toutes les ressources de l’art et du langage pour exploiter les brèches du régime) et du postmodernisme. Son œuvre-culte, Orbitor, est un triptyque monumental et inclassable (à tel point qu’il se retrouve en France… dans la collection Folio SF !) dont l’éditeur Olivier Rubinstein, l’un de ses plus fervents admirateurs, a fait traduire les trois tomes : Orbitor (1999), L’œil en feu (2005) et L’Aile tatouée (2009). Mais l’engagement de Cartarescu dans la vie intellectuelle ne se limite pas à l’écriture : il est aussi impliqué dans la presse (il tient des chroniques dans plusieurs journaux), l’enseignement (docteur en littérature, il est devenu professeur à l’Université de Bucarest en 2004) et la défense des auteurs, qu’il soutient à travers les rencontres qu’il organise ou ses responsabilités au sein de l’Union des écrivains roumains. Un personnage incontournable, qu’on pourra découvrir en commençant par son recueil Pourquoi nous aimons les femmes, vingt textes à la gloire du beau sexe, énorme succès en Roumanie.
 OrbitorL’œil en feu et L’aile tatouée, de Mircea Cartarescu (Folio SF, traduit du roumain par Alain Paruit, 428 p., 8,10 €, Denoël, traduit du roumain par Alain Paruit, 515 p., 28,40 € et Denoël, traduit du roumain par Laure Hinckel, 620 p., 29 €)
Dan Lungu, l’hyperactif
À bientôt 45 ans, Dan Lungu est un pilier de la jeune génération, celle qui a commencé à écrire après la chute du régime de Ceaucescu, et qu’a réunie la maison d’édition Polirom, née dans les années 1990. Hyperactif, il a commencé en fondant un groupe poétique nommé Club 8, avant de diriger le journal libéral Le Temps (Timpul), hebdomadaire libéral devenu quotidien en 2009. Mais Lungu est aussi un chercheur chevronné, maître de conférences en sociologie à l’Université de Iaşi. Ses thèmes de prédilection ? La vie sous le communisme, la transition vers la démocratie, les conditions de vie des classes ouvrières et la façon dont les écrivains traitent avec le pouvoir. Autant de sujets qu’on retrouve dans ses nouvelles et romans dont les plus célèbres en français sont Le paradis des poules et Je suis une vieille coco, comédies burlesques et toniques qui lui ont valu d’être comparés à l’esthétique d’Emir Kusturica. Le plus récent, Comment oublier une femme, s’intéresse au milieu du journalisme roumain et au développement des sectes néo-protestantes qui fleurissent sur les ruines du totalitarisme, en combattant l’influence de la tradition orthodoxe…
Comment oublier une femme, de Dan Lungu (traduit du roumain par Laure Hinckel, Jacqueline Chambon, 256 p., 22 €)
Varujan Vosganian, le politique
Ceux qui connaissent un peu la vie politique roumaine se demanderont s’il s’agit d’un homonyme, mais non : on parle bien de Varujan Vosganian, sénateur, ministre de l’économie de 2006 à 2008 puis à nouveau depuis fin 2012, dans le gouvernement de Victor Ponta. Classé parmi les libéraux conservateurs, parfois controversé (il a essuyé en 2006 une polémique sur sa collaboration prétendue avec la Securitate sous Ceaucescu, qui s’est avérée infondée), ce personnage déborde le sérail politique puisqu’il est aussi un membre actif de l’Association des humoristes roumains et de l’Union des écrivains roumains, et qu’il préside aux destinées de l’Association des Arméniens de Roumanie ! On ne s’étonnera pas que le destin du peuple arménien soit au centre de son premier roman (Vosganian était déjà connu des libraires pour ses essais d’économie et ses poèmes), Le livre des chuchotements, un puissant récit aux allures de long conte oriental, qui retrace toute l’épopée tragique de l’exode arménien à travers le XXe siècle. Et qui, au-delà de son sujet, se lit comme une sorte de rétrospective de ce siècle tourmenté, celui des génocides, des identités violées et des régimes totalitaires.
Le Livre des chuchotements, de Varujan Vosganian (traduit du roumain par Laure Hinckel et Marily le Nir, Editions des Syrtes, 368 p., 23 €)
Savatie Baştovoi, le moine
Savatie Baştovoi (de son vrai prénom Stefan) n’est pas le plus connu des invités du Salon mais c’est pourtant un personnage. Né à Chişinau en Moldavie en 1976, très tôt attiré par la poésie, il a fait durant son adolescence un passage à l’hôpital psychiatrique de Socola, qu’il a mis à profit pour continuer d’écrire de la poésie, des nouvelles, des fictions courtes qu’il publie dans les revues littéraires de Bessarabie et de Roumanie. À vingt ans, il se lance dans des études de philosophie à la faculté de Timişoara, puis les abandonne finalement en 1999 pour embrasser la carrière religieuse : il devient moine, reçoit le nom de Savatie, prend la tonsure, et vit désormais au monastère orthodoxe de Nou Neamt, dépendant de l’Eglise orthodoxe russe et situé sur le territoire russophone de Transnistrie. Quand il n’enseigne pas l’iconographie au Séminaire de théologie de Chişinau, il dirige la revue Ekklesia. Son unique roman traduit, Les lapins ne meurent pas, raconte les aventures d’un gosse de 9 ans, Sasha, au début des années 1980, entre rudesses de la vie agricole, violence du système éducatif et propagande omniprésente du régime.
Les lapins ne meurent pas, de Savatie Baştovoi (traduit du roumain par Laure Hinckel, Jacqueline Chambon, 300 p., 22 €)
Adina Rosetti, la geek
À 34 ans, Adina Rosetti, native de l’Est de la Roumanie (Brăila, en Muténie, sur le Danube) fait partie des nouveaux auteurs arrivés à la littérature après la chute du communisme, et dont la thématique n’est plus tant la satire du totalitarisme que celle de l’anarchie libérale qui lui a succédé, et de l’entrée euphorique dans le capitalisme sauvage. Tel est le thème de son premier roman, Deadline, paru en 2010 en Roumanie, un livre qui montre à quel point les maladies du travail et de la rentabilité, tristement célèbres chez nous (suicides, dépressions, etc.), font désormais partie du quotidien des anciens pays de l’Est. L’histoire commence lorsque la jeune Miruna, 29 ans, est retrouvée morte chez elle, son ordinateur allumé, avec deux dossiers dans les bras, visiblement tuée par le surmenage. Un étrange blogueur lance alors sur internet une sorte de révolution anti-managériale, qui ne débouche sur rien dans la rue mais qui fait tout de même un beau barouf dans la presse (milieu que connaît bien l’auteur, puisqu’elle est travaille au Elle roumain depuis 2008)... Vivant, doté d’un humour tonique et relevé d’une petite touche de fantastique, un roman ancré dans l’ère du web et qui témoigne des craintes d’une génération confrontée aux effets de la libéralisation à outrance du pays.
Deadline, d’Adina Rosetti (traduit du roumain par Fanny Chartres, Mercure de France, 410 p., 22 €)
source evene.fr

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